Pollution des milieux aquatiques

En utilisant l’eau comme agent de dilution et de transport de nos excrétas?, les penseurs hygiénistes de la fin du XIXe siècle n’avaient pas anticipé les conséquences sur les milieux aquatiques. Le seul enjeu du système d’assainissement adopté alors fut d’éloigner les matières à risque des lieux d’habitat sans plus de considération pour "la restitution à la terre des principes fertilisants qu’elles contiennent et le retour aux rivières des liquides dépouillés de leurs éléments corrupteurs." [1]

Au XXe siècle, la pollution des cours d’eaux conduira les autorités à installer les premières stations d’épuration. Leur principe de fonctionnement reste le même : une série de traitements physiques (dégrillage, dégraissage, décantation…) suivi d’une "épuration biologique" qui consiste à oxygéner les eaux usées afin de favoriser le développement de bactéries qui vont consommer les matières organiques. La couverture du territoire s’est progressivement étendue, passant de 2000 stations d’épuration en 1970 à plus de 15000 aujourd’hui.

Outre le fait que ces stations d’épuration sont coûteuses et mal odorantes, leur performance épuratoire est souvent très insuffisante. Malgré les perfectionnements techniques, certaines matières polluantes dans les milieux aquatiques ne sont pas ou très peu retenues. « Les paramètres suivis pour toutes les stations sont la DCO [2] et la DBO5 [3] pour mesurer la pollution organique, ainsi que les matières en suspension. […] Deux paramètres sont exclus dans ce calcul. Il s’agit d’une part de l’azote ou du phosphore, pris en compte dans les seules zones sensibles aux risques d’eutrophisation, et d’autre part du risque bactériologique qui n’est pas pris en compte. » [4]

Les nutriments (azote et phosphore notamment) présents dans les rejets de stations d’épuration vont provoquer divers dysfonctionnements dans les milieux aquatiques :

  • la dégradation de ces matières organiques consomme de l’oxygène dissous et provoque l’asphyxie du milieu,
  • le phyto-plancton et les algues prolifèrent et augmentent la turbidité de l’eau, bloquant ainsi la pénétration de la lumière et donc la photosynthèse.

C’est ce que l’on nomme fréquemment « eutrophisation » : c’est à dire un enrichissement de l’eau en matières organiques qui provoque une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes aquatiques et une dégradation de la qualité de l’eau.

Outre cette « pollution organique », ni les germes pathogènes, ni les résidus médicamenteux ne sont traités par les stations d’épuration. Ces germes et molécules pharmaceutiques vont provoquer chez les animaux aquatiques diverses maladies et des perturbations endocriniennes majeures. Dés la fin des années1980, l’équipe de recherche de l’anglais Colin E. Purdom a pu démontrer que la féminisation des poissons était due aux oestrogènes contenus dans les effluents de stations d’épuration [5].

L’assainissement non-collectif n’est pas sans conséquence non plus sur les milieux aquatiques. Quand bien même les installations sont jugées conformes par le législateur, les effluents en sortie d’épandage souterrain sont encore chargés en azote, phosphore, germes pathogènes et résidus médicamenteux. Ces effluents sont infiltrés en profondeur dans le sol (60 cm minimum) là où il n’y a pas d’activité biologique, donc pas d’épuration biologique possible. Seul le rôle filtrant du sol en tant que matériau physique va retenir une partie de ces éléments, mais selon les sites, ces éléments peuvent être lessivés et aller polluer les eaux souterraines.

Sachant que nous prélevons l’eau destinée à la potabilisation dans les eaux de surfaces ou dans les eaux souterraines, on peut imaginer les conséquences sur la qualité de l’eau potable. Combien de temps faudra-t-il encore pour que l’on comprenne qu’utiliser le WC et le tout à l’égout, "c’est verser son pot de chambre dans sa carafe" comme l’écrivait déjà Mirabeau il y a plus de deux siècles [6].

[1Charles de Freycinet, Principes d’assainissement des villes, Paris, 1870, p.161

[2Demande chimique en oxygène

[3Demande biochimique en oxygène à 5 jours

[4rapport N°215 de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix scientifiques et Technologiques, 2003, p.160 téléchargeable sur http://www.senat.fr/rap/l02-215-1/l02-215-11.pdf

[5Plus de détails en anglais dans cette publication de John Sumpter and Susan Jobling

[6Réponse du Comte de Mirabeau à l’écrivain des Administrateurs de la Compagnie des Eaux de Paris,1786, page 30.

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